Mesdames les parisiennes, sachez que vous avez légalement le droit de porter des pantalons depuis… le 31 janvier dernier ! En effet, une ordonnance avait été promulguée en 1800 par le préfet de Paris Dubois indiquant que toute femme désireuse de se promener dans une telle tenue devait en obtenir la permission préalable auprès de la préfecture ! Nous ne reviendrons pas sur l’histoire du pantalon, mais si cela vous intéresse, Philippine Janssens la retrace très bien sur son site : http://www.philippinejanssens.com/fr/history.php
Alors bien sûr, il n’a pas fallu attendre cette année pour que les femmes s’emparent du pantalon et l’adoptent. Néanmoins, force est de reconnaître qu’aujourd’hui encore demeure une inégalité sexiste : une boutique seulement propose des pantalons en demi-mesure pour les femmes alors que l’offre foisonne pour les hommes. Cette boutique est celle de Philippine Janssens, que nous avons rencontrée.
Présentation
Après avoir été diplômée de L’ESSEC, la jeune créatrice Philippine Janssens fonde en novembre 2010 sa propre marque de pantalons féminins sur mesure qui prendra son nom. Ce n’est pas un hasard si Philippine Janssens se lance dans cette aventure et fait le choix du pantalon féminin sur mesure. En effet, elle a été sensibilisée très tôt aux différents textiles de qualité puisque sa mère a créé en 1981 la maison de tissu Haute Couture Janssens & Janssens située rue d’Anjou dans le 8ème arrondissement de Paris. Ce lieu est particulièrement important pour Philippine Janssens, c’est là qu’elle a pris goût aux belles matières, qu’elle a rencontré des couturiers, qu’elle s’est intéressée à la mode, qu’est né le désir de créer sa propre entreprise et qu’elle travaille actuellement. Et oui, pour rencontrer Philippine Janssens, il faut traverser le magasin de tissus Haute Couture Janssens & Janssens pour découvrir un joli espace privatif spécialement aménagé pour les clientes de la jeune créatrice. La décision de Philippine Janssens de fonder sa marque de pantalons féminins sur mesure vient d’un constat : elle a des difficultés à trouver dans le commerce des pantalons de bonne qualité qui lui plaisent et lui correspondent (elle n’est d’ailleurs pas la seule dans ce cas !). Elle imagine alors permettre à toutes les femmes d’avoir un pantalon qui leur convienne vraiment, un pantalon personnalisé, à des tarifs abordables.
Prix raisonnables ne riment pas avec accueil négligé et toutes les clientes seront reçues individuellement, sur rendez-vous exclusivement.
Tout commence en déterminant la coupe : pantalon droit, cigarette, évasé, jodhpur, drapé, à pont … Il faut faire le choix parmi 15 (!) coupes différentes avant de commencer à personnaliser son modèle. Ce choix est important car il permet de déterminer l’allure que la cliente souhaite donner à son vêtement : ample aux cuisses mais resserré en bas par exemple, ou bien encore près du corps, ample sur toute la jambe…
La coupe définie, les mesures sont prises grâce à ce qu’on appelle une toile : il s’agit d’un pantalon possédant la coupe et les dimensions les plus proches de celles voulues. Il y a environ 500 toiles différentes dans le magasin, chaque coupe étant disponible dans trois hauteurs de taille (basse, haute ou normale), plusieurs largeurs et longueurs… Le grand nombre de toiles s’explique surtout par l’importance du rapport taille-hanche chez les femmes ce qui impose d’en proposer plusieurs pour chaque modèle. Les mesures, un peu plus d’une vingtaine, seront prises directement sur ce pantalon d’essayage. C’est une étape décisive puisque toutes les modifications seront notées précieusement et analysées ensuite par l’atelier pour créer le patron correspondant.
Quelques unes des toiles...
Ensuite, c’est l’étape de la personnalisation du vêtement où l’on doit choisir les différentes options du pantalon : types de poches à l’avant et à l’arrière, forme de la ceinture ou encore style de bas de jambe. C’est classique sauf qu’ici encore, Philippine Janssens ne fait pas les choses à moitié et propose un nombre d’options très large. Par exemple pour la finition des bas de jambe, on a le choix entre un ourlet simple, un revers extérieur, un bas surpiqué, une fente sur le côté ou sur le devant, un zip ou une fermeture boutonnée. L’apport de Philippine se ressent tout au long de ce processus puisque tout n’ira pas à tout le monde ; par exemple si vous avez un départ de hanche fort, il faudrait éviter les poches dans les coutures, elles bailleraient. La dernière étape est le choix du tissu : couleurs, matières, motifs…et le choix est pléthorique. Outre ses propres tissus, Philippine peut s’appuyer sur une partie de la collection de tissus du magasin Janssens et Janssens, notamment pour les pantalons de soirée.
Pour les clientes qui trouveraient que leur pantalon n’est pas encore assez exclusif, Philippine Janssens propose d’étudier sur devis les demandes les plus folles. Ainsi, la jeune parisienne livre régulièrement des pantalons avec des incrustations de dentelles, de cuir … Nous avons pu voir lors de notre visite un pantalon extrêmement travaillé ayant nécessité plusieurs heures de travail pour ajouter des broderies reprenant le motif tartan du tissu, les photos parlent d’elles-mêmes :
Philippine Janssens accorde énormément d’importance à l’accueil qu’elle réserve à ses clientes, guide les femmes dans leurs choix de personnalisation du pantalon et donne des conseils pour choisir un tissu adapté à la saison et l’usage envisagé. La personnalité et le mode de vie de chaque cliente sont également passés en revue : personne âgée, travail en position assise… autant de critères permettant de déterminer le pantalon adéquat.
Il faut compter généralement une demi-heure dans la boutique pour cette première étape et patienter environ trois semaines avant l’essayage final : c’est le temps nécessaire à la réalisation du patron et la confection du pantalon. Les éventuelles rectifications sont corrigées pour le lendemain.
L'espace privatif donne sur une courette paisible.
Quelques questions à Philippine :
Qu’est-ce qui t’a poussé à créer ta propre marque ?
Mes parents sont chacun entrepreneur, mon frère a monté son cabinet d’architecture, on a une vraie fibre entrepreneuriale dans la famille. Pour ma part, j’ai été sensibilisée très jeune au tissus par la boutique de ma mère et à la couture car ma grand-mère était couturière.
Dans le magasin de tissus Janssens et Janssens, les clientes viennent pour se faire faire des vêtements soit parce qu’elles recherchent des tissus de qualité, fantaisistes et uniques, soit parce qu’elles ont une silhouette qui ne leur permet pas de trouver des vêtements dans le prêt-à-porter traditionnel. Cependant, les couturiers se raréfient et il devient de plus en plus difficile de se faire confectionner des vêtements sur mesure. Enfin, le marché du sur-mesure est relativement opaque et les prix peuvent aller du simple au double sans pour autant être satisfait de la qualité de la confection.
Pourquoi le pantalon ?
Depuis les années 60 et le fameux tailleur-pantalon d’Yves Saint Laurent, le pantalon fait partie intégrante d’une garde-robe féminine. C’est un vêtement que les femmes portent très souvent, et qui est extrêmement pratique mais force est de constater que son achat relève souvent d’un parcours du combattant !
Quand vous demandez à une femme le nombre de pantalons qu’elle possède, généralement elle en a une quinzaine mais elle n’en met que deux ou trois : à la différence d’une jupe ou d’un chemisier, le pantalon n’est pas un achat coup de cœur, il faut qu’il vous aille parfaitement et que vous vous sentiez à l’aise, sinon, il reste au fond de votre placard.
Après, pourquoi seulement le pantalon ? Je trouvais intéressant de faire un seul vêtement, car on acquiert une certaine expertise et également parce que je suis convaincue que la créativité nait de la contrainte.
Pourquoi la demi-mesure ?
Rappelons peut-être ce qu’est la demi-mesure : il s’agit d’une méthode de confection, à mi-chemin entre le prêt-à-porter et la grande mesure. A la différence de la grande mesure où l’on prend vos mesures et où l’on vous crée une toile exclusivement pour vous, nous partons avec la demi-mesure d’une toile existante que l’on adapte à votre silhouette pour vous créer votre patron.
La demi-mesure à l’avantage d’être une méthode de confection rapide (en moyenne trois semaines) qui ne demande qu’un seul essayage après la mise au point de la toile. Par ailleurs, la demi-mesure offre à la cliente une possibilité de variantes tant au niveau de la coupe que des tissus qu’elle ne trouve pas dans le prêt-à-porter. Enfin, le prix d’une confection en demi-mesure reste abordable si on le compare avec la grande mesure.
Pour de nombreuses femmes qui n’ont pas le temps ou qui n’ont pas l’envie de faire du shopping, ce service de demi-mesure a tout son intérêt.
Le prêt-à-porter n’offre qu’un nombre limité de tailles (allant très rarement au-delà du 44) et les qualités ne sont pas toujours au rendez-vous, même dans le prêt à porter de luxe.
Le prêt-à-porter ( PAP) ne répond pas aux attentes des femmes : il y a un PAP bas de gamme, peu cher mais de qualité moyenne, un PAP moyen de gamme qui se prend pour du haut de gamme (de par les prix mais pas par la qualité) et le PAP de luxe qui n’habille plus les femmes car trop dépendant des modes et des tendances de marché
De nombreuses options sont présentées au mur.
N’est-ce pas compliqué pour les clientes d’arriver à imaginer leur pantalon lors de la commande ?
Avec notre concept, les clientes peuvent essayer les vêtements et vérifier l’allure des coupes grâce à nos nombreuses toiles. Par ailleurs, il y a plusieurs centaines de prototypes dans notre showroom permettant d’apprécier les matières et les différentes options qu’elles peuvent choisir pour les finitions comme par exemple les bas de jambes avec des boutons, les largeurs de ceintures, etc… La cliente est écoutée et bénéficie de nos conseils.
Il m’est déjà arrivé que certaines clientes me demandent d’imaginer leur pantalon en me faisant pleinement confiance
Où sont fabriqués les pantalons ?
Tout est fabriqué en France ! Il y a d’excellents fabricants avec un savoir-faire inégalé, ce serait dommage de ne pas les mettre en avant. Je ne suis pas un tailleur, mais me place davantage comme un « intermédiaire » entre nos façonniers, qui ne peuvent plus avoir leurs ateliers sur Paris comme c’était le cas il y a 50 ans, et une clientèle soucieuse de qualité qui a des besoins particuliers mais qui ne trouve pas ce qu’elle recherche dans le commerce traditionnel. Ma démarche est de pouvoir proposer une confection à l’unité fabriquée en France. L’enjeu étant de préserver l’esprit couture tout en industrialisant le procédé de fabrication. La plupart de nos ateliers sont des petites structures de 20 à 30 personnes, des artisans et couturières qui possèdent de vrais savoir-faire.
L’industrialisation de notre produit est nécessaire pour obtenir des délais rapides, assurer une production à plus grande échelle et proposer des prix raisonnables mais ne dénature en rien notre démarche qui est celle de préserver un savoir-faire français.
Tu travailles avec un seul atelier ?
Non, avec plusieurs ateliers, ainsi que des artisans brodeurs et artisans plisseurs (les Plissés LOGNON)… On travaille également avec de nombreuses entreprises du patrimoine vivant : les EPV *. Ce sont des entreprises qui existent depuis des dizaines voire des centaines d’années et qui ont un vrai savoir-faire transmis de générations en générations.
Chaque atelier à ses spécificités : certains ne travaillent que le flou et les matières plus délicates, d’autres ateliers sont davantage équipés pour les matières plus classiques comme la laine et le lin.
Mon brodeur a travaillé pendant 15 ans pour un grand couturier, il collabore aujourd’hui pour une grande maison de broderies, pour ma mère et moi-même. On développe des collections de broderie ensemble, des galons, des ceintures. Le fruit de notre dernière collaboration est un pantalon entièrement brodé, un tartan revisité nécessitant plus de 30 heures de broderies.
Je viens également de participer à l’élaboration d’un défilé au Bristol avec la maison Lejaby pour réaliser des pantalons « lingerie » en ré-inscrustant leurs dentelles sur les pantalons.
Les partenariats nous permettent d’enrichir nos collections et de développer notre créativité.
Est-ce plus compliqué d’habiller les femmes que les hommes ?
En effet, en demi-mesure, peu de maisons se sont risquées à habiller les femmes car davantage d’expertise, de conseils, d’écoute, d’exigence du fait de la diversité des silhouettes....
C’est un vrai challenge mais une fois que vous avez acquis la confiance d’une femme, elle peut devenir une cliente fidèle et attentive à vos conseils
Quels types de clientes as-tu ?
Tous les âges, tous les milieux sociaux… Qu’elles aient des difficultés à trouver des pantalons de par leur silhouette ou des tissus de qualité plus ou moins originaux, j’essaie de répondre aux demandes de toutes mes clientes afin de les satisfaire au mieux. Ma plus jeune cliente à 25 ans et je lui ai offert son premier pantalon en mesure. J’habille des femmes qui sont sensibles aux belles matières, au savoir-faire : avocates, actrices, chef d’entreprise, cadres, têtes couronnées, etc…
As-tu beaucoup de demande pour des pantalons confortables ?
Chaque tissu présent dans les collections est sélectionné pour une propriété particulière : toile pour l’été, finition satiné pour pantalon plus habillé, etc… Prenons un exemple : au début, je n’avais pas d’élasthanne car je n’y suis pas favorable mais la demande est là et je m’adapte. Il ne faut pas qu’il y ait plus de 2 % ou 3 % sinon cela déforme les vêtements. C’est très confortable mais cela a une moins bonne tenue.
Y-a-t-il beaucoup d’étrangères ?
Oui, et de plus en plus et c’est la raison pour laquelle je suis en train d’étudier un nouveau process pour proposer une offre de conception du pantalon depuis sa commande jusqu’à sa livraison en une semaine…
Quels sont tes futurs projets ?
J’ai plusieurs lignes de projets :
-Partenariats : notamment avec la maison Aallard pour le fuseau en mesure qui sera lancé en septembre 2013 à Paris
- Nouveaux produits : développement du jean et du pantalon en cuir pour 2014, de ceintures corsets
- Perfection de la fabrication et projets technologiques mais je ne vous en dis pas plus pour l’instant … !
Plus d’informations : http://www.philippinejanssens.com/
* EPV : Le label "Entreprise du Patrimoine Vivant" (EPV) est une marque du ministère de l’artisanat, du commerce et du tourisme. Il distingue des entreprises aux savoir-faire artisanaux et industriels d’excellence.
Attribué pour une période de cinq ans, ce label rassemble des fabricants attachés à la haute performance de leur métier et de leurs produits.
Créé par la loi en faveur des PME du 2 août 2005, le label Entreprise du patrimoine vivant peut « être attribué à toute entreprise qui détient un patrimoine économique, composé en particulier d’un savoir-faire rare, renommé ou ancestral, reposant sur la maîtrise de techniques traditionnelles ou de haute technicité et circonscrit à un territoire »